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Réflexions : L'entrevue avec Rania Arabi, écrivain et YWCA et coordinatrice de projet pour le YMCA

À la veille de la Toussaint, Rania et moi nous sommes assises, dans le confort de sa maison, située sur le Plateau. Cela faisait quelque temps que nous parlions de filmer une entrevue avec son père, qui avait été forcé de quitter sa maison à Jaffa. Et pendant que nous planifions l’organisation de l’entrevue, nous avons décidé que le point de départ serait l’histoire de Rania. Ainsi en cette soirée de fin octobre, autour d’un bol de figues fraîches, nous avons commencé une entrevue de deux heures sur l’histoire de sa vie.

J'avais rencontré Rania, à travers son travail pour le YWCA, Rania est responsable de la recherche et coordination de projets pour les femmes et enfants immigrants à Montréal. En tant que co-coordonnatrice du groupe de travail Expériences des jeunes réfugiés, du projet Histoires de vie des montréalais et recherchiste principale du projet de collaboration de médias, « Cartographie du souvenir », j’avais contacté Rania dans l’espoir de nouer un projet de collaboration. L’un des principes du projet Cartographie du souvenir  est de former des collaborations stratégiques avec les groupes impliqués, afin de soutenir et assurer la longévité du projet. Rania et moi examinons les moyens d'intégrer des médias et la narration numérique dans ses projets.
Nous avons également décidé qu'afin de comprendre le réel impact qu'une collaboration créative ou une histoire de vie pourrait avoir, Rania et les membres du YWCA devraient eux-mêmes vivre l’expérience, voir le genre d'ateliers que nous organisons, que ce soit dans les maisons d’accueil de réfugiés ou avec les groupes de jeunes à Montréal. En vivant par soi-même le processus d'utiliser de nouveaux médias afin de raconter son histoire de vie, les membres du YWCA auraient un meilleur sens de la manière dont ces techniques pourraient être introduites dans leur travail. De plus, le personnel vivrait et comprendrait la puissance aussi bien que la délicatesse qu’engendre un tel processus créatif. Ainsi avant de commencer notre formation sur la narration numérique avec le personnel de YWCA, Rania et moi avons fait commencer à parler de son histoire de vie. Nous avons discuté longuement son identité en tant que femme palestinienne et ses pensées sur l’importance de l’histoire orale et des témoignages afin de surmonter un certain cycle de victimisation.

Rania a grandi au Kowéit avec ses trois frères et ses deux parents. Elle s'est installée à Montréal avec sa famille, peu après la guerre de Golfe. Son père a été contraint de quitter sa maison à Raffa à l'âge de sept, pendant l'entrevue je découvre que Rania elle-aussi été marqué par des événements traumatisants vers le même âge : « C’était la guerre civile, pendant le conflit entre la Palestine et le Liban, il n’y avait que deux Palestiniens dans mon école et tous les autres enfants nous humiliaient », « Vous ressemblez à Arafat » nous criaient-ils. « J’ai étudié à cette école pendant dix ans sans jamais me plaindre, je ne sais pas pourquoi, pour quelle raison, mais je gardais tout en moi, je m’isolais, qu’y a-t-il de mal à être palestinien ? ». Rania m’a expliqué que malgré les quelques 300,000 Palestiniens qui habitaient au Kowéit à cette époque, elle éprouvait souvent le sentiment d’être étrangère.
Alors qu’elle était jeune adulte, Rania retourne en Palestine pour la première fois depuis son enfance. Le concept du « chez-soi» l’intéressait, et elle décide donc d’interroger les fonctionnaires d'OLP, qui avaient passé des années en exil en Tunisie et rentraient en Palestine. Sa recherche faisait partie de son projet de maitrise en anthropologie. Lorsqu’elle menait ses travaux sur le terrain, elle encourage son père à venir la rejoindre en Palestine. Ils visitent ensemble la maison d’enfance de son père qu'il avait du quitter précipitamment. « C’était comme si il retrouvait son enfance, il a commencé à pleurer. Il nous embrassa, et mes cousins et moi ». Rania et son père s’arrangent pour ramener avec eux un morceau de la maison avec eux; la fenêtre de sa chambre. En parlant de l’importance de cette visite, Rania explique que son père « a eu la chance de retourner chez lui et de revoir sa maison et ce n’est pas beaucoup qui ont cette occasion. Je pense qu’à chaque fois que l’on retourne à une période difficile de rupture, on y fait face. Je suis contente qu’il ait pleuré, il a encore beaucoup de rancune, et doit faire son deuil». En parlant de la visite, elle conclut que son père aura maintenant de nouveaux souvenirs liés à cette maison.

J'ai questionné Rania sur son lien avec la colère de son père, et la notion d’héritage de traumatisme. Elle me répond : « J'ai eu des rapports très étroits et envahissants avec la rancune de mon père, sa haine, ses cris, ses accusations, ses revendications; ceci n’est pas juste, comment se fait-il que cela nous arrive ? Et que personne n’y fasse quoi que ce soit ? Ce sont des questions et sentiments qu’il m’a transmis. Mais mon devoir, ma responsabilité est de prendre cet héritage et de le transformer et m’assurer de ne pas le transmettre à mon enfant ».

Elle a poursuit son explication en me dévoilant la notion de « cicatrice sacrée » cette expression me marque depuis lors. « Parfois nous décidons de cacher nos cicatrices et menons nos vies comme des victimes. J'estime que j’ai hérité de ma cicatrice, et qu’elle fait partie de moi, alors, que devrais-je en faire ? Est-ce que je devrais l’effacer ? Ou jouer avec ? Est-ce que je devrais tenter de l'ouvrir ? Ou plutôt de raconter son histoire, parce que c'est amusant de la raconter, car elle épate les gens qui diront : « Oh mon Dieu, vous avez vécu tout cela ? » Ce qui confirme le drame et aggrave la victimisation. Il y a peut-être un moyen de transformer cette blessure et faire sa contribution afin de montrer au monde que les blessures peuvent guérir.
Quelques jours plus tard, pendant l’atelier avec les membres du YMCA, Rania raconte son retour en Palestine avec son père, ce qui inspire sa narration numérique, ou elle raconte cet évènement sous forme de lettre à son fils. C’est une histoire puissante et inspirante, tout comme Rani et le travail qu’elle effectue au YWCA.

Réalisée : Vendredi 30 octobre 2009
Intervieweuse : Liz Miller
Vidéographe : Liz Miller